L'Usine Digitale revient avec David Ménascé sur l'étude "La France du Bon Coin, le micro-entrepreneuriat à l’heure de l’économie collaborative"

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David Ménascé était interviewé par Christophe Bys, de l'Usine Digitale, et revenait sur sa note titrée La France du Bon Coin, le micro-entrepreneuriat à l’heure de l’économie collaborative.  Il analyse les raisons du développement de ces nouvelles formes d’entrepreneuriat et propose des pistes pour que le non salariat ne soit plus synonyme de précarité.

Et si, alors que tout le monde s’écharpe sur le rapport Combrexelle, la vraie réforme du Code du Travail était dans les pages de ce travail modeste, qui ne prétend rien révolutionner, mais tenir compte du réel et de ceux qu’on entend jamais ou peu : la France du bon coin et d’Uber.

L’Usine Nouvelle : Vous travaillez beaucoup à l’amélioration des conditions de travail au sens large des populations de pays en voie de développement. Quelle leçon tirez-vous de cette expérience qui pourrait nourrir la réflexion dans nos économies développées ?

David Ménascé : Avant de vous répondre, je ne pense pas que les situations soient comparables. Ce serait une erreur de transposer directement. Le contexte politique, économique, social est trop différent. Ceci dit, j’ai été amené à travailler avec un groupe agro-alimentaire sur les vendeurs de rue. En Inde, ils sont vingt millions. Invité à la conférence de leur organisation, j’ai été frappé le titre de la conférence "Cities for all", qui est aussi une de leur revendication. Quand ils réclament la ville pour tous, ils demandent l’accès au marché, la ville étant le lieu où ils peuvent travailler.

 

Quand vous n’avez rien, la stratégie de survie de base, c’est de pouvoir accéder au marché. Les révolutions arabes ont commencé quand, en Tunisie, un vendeur de rue s’est immolé quand harcelé par les policiers il ne pouvait plus accéder au marché. Pour les plus pauvres, l’accès au marché est une conquête sociale.

 

Sans vouloir transposer ce qui précède à la France ou à n’importe quel pays développé, les contextes étant différents, il me semble que là aussi cependant, l’accès au marché est vital pour certaines populations fragiles. Je me suis penché sur ces petits entrepreneurs, en essayant de respecter leur diversité, puisque pour certains c’est une question de survie et pour d’autres c’est un confort. Je voulais entendre leur voix. Tout le monde a un avis sur Uber Pop ou Leboncoin, mais peu de gens écoutent ce qu’ont à dire les personnes pour lesquels c’est un moyen d’accéder au marché, à un travail.

 

Revenons à la France qui est le cœur de votre étude. Qu’avez-vous découvert en étudiant ce que vous appelez La France du bon coin ?

Au-delà du titre, je me suis intéressé à toutes les plateformes Internet qui facilitent l’offre et la demande de services. J’ai eu envie d’étudier la micro-activité et les stratégies de débrouille. C’est une obligation face à la crise durable de l’emploi. Les gens sont obligés de se débrouiller formellement ou informellement.

Avant les gens se donnaient des coups entre amis, entre voisins. Avec les plateformes numériques, ils élargissent leur rayon d’activité.

 

Pourquoi dites-vous qu’on n’entend pas assez cette voix-là ? On a quand même beaucoup parlé du débat autour des taxis et Uber.

Certes mais on n’a pas tant que ça entendu les chauffeurs Uber Pop. Pas plus qu’on entend les gens qui vendent sur Leboncoin… Dans les débats actuels sur le droit du travail, je suis frappé de voir à quel point on ne tient pas compte du développement de la micro-activité. Il y a en France un million de micro-entrepreneurs. C’est une tendance globale. 15 % des citoyens européens sont self-employed. De plus en plus, les personnes cherchent une activité plus qu’un emploi salarié. En n’en tenant pas compte, on passe à côté de quelque chose d’important.

 

D’où vient ce développement ?

Les causes sont vraisemblablement multiples. Cette tendance s’est accentuée grâce au numérique qui est aussi un mouvement de fond. On l’oublie parfois, mais cette évolution est liée à l’urbanisation. Dans le monde rural, c’est beaucoup plus difficile de travailler de cette façon. Il n’y a pas le nombre suffisants de clients. Etre chauffeur Uber Pop dans certains sous-préfectures n’est pas très intéressant financièrement.

Le salariat n’est plus l’alpha et l’oméga qui fait rêver, et pas seulement pour les plus jeunes. Ce qui intéresse les utilisateurs, ceux qui travaillent de cette façon, c’est souvent la flexibilité. Ils peuvent choisir quand ils travaillent. 

 

L’indépendance est une valeur montante. Etre auto-entrepreneur c’est valorisant pour certaines personnes. Ne soyons pas naïf non plus : pour certains la micro activité est une contrainte, pas un choix. Pour cela, il faut trouver des moyens de concilier micro-entreprenariat et une certaine stabilité. Sans pour autant que cela dissuade ceux qui pratiquent cette activité à côté d’un CDI par exemple. J’ai rencontré un chauffeur Uber Pop qui le faisait pour payer des vacances à ses enfants.

 

Autrement dit, un nombre croissant de personnes cumulent plusieurs activités. N’est-ce pas une des causes de la crispation sur les 35 heures ? Si vous travaillez à côté de votre emploi principal, une hausse du temps de travail empiète sur vos activités annexes.

Sur les 35 heures, je ne sais pas répondre. En revanche, ce que j’ai observé c’est que pour nombre de personnes la poly-activité est nécessaire. Je reviens sur les chauffeurs Uber Pop que j’ai rencontré, certains avaient un emploi en CDI à temps partiel à côté. Ils étaient électriciens et chauffeurs ou gardien d’école et chauffeur. J’ai même rencontré un commercial qui utilisait sa voiture de fonction. Les personnes sont à la recherche de compléments de revenus. C’est indéniable.

 

N’assiste-t-on pas à un grand démantèlement du salariat, qui avait inventé des protections ?

Que dit le succès de l’économie collaborative ? C’est un indice de la crise de l’emploi peu qualifié. Les plateformes ne précarisent pas l’emploi salarié. Elles révèlent au contraire cette crise. C’est important de le comprendre. Sinon on passe à côté du sujet.

Ceci dit, j’ai demandé à Laurence Fontaine qui est directrice de recherche au CNRS et spécialiste d’histoire économique et du marché de préfacer cette note. Elle explique très bien qu’au dix-huitième siècle tout le monde est plus ou moins marchand.

 

Aujourd’hui, la multi activité peut servir à certains comme un moyen de colmater des brèches dans leur budget. Pour d’autres cela peut être un piège parce qu’ils risquent de s’y trouver piéger. Pour une femme de ménage, ça peut être difficile, parce qu’elle n’a pas le pouvoir de négociation. Elle va proposer de travailler pour dix euros et en face on va lui dire c’est cinq. Si elle n’a rien d’autre elle peut être tentée d’accepter. C’est ce qu’il faut éviter à tout prix.

Pour cela, j’insiste : il faut inventer des moyens de créer de la stabilité, c’est-à-dire faire en sorte que le micro entrepreneur soit un vrai entrepreneur, une vraie personne autonome. Les risques de dérapage ne sont pas nuls.

 

Comment fait-on alors ?

D’abord, il faut distinguer entre les opérateurs et les places de marchés. Les premiers fixent les prix, reversent une partie. Les secondes mettent en relation offre et demande, on est dans une relation bilatérale. Il va falloir définir des prix minimaux pour ces tâches.

 

La question qui se pose aujourd’hui est de savoir quelle forme de négociation collective peut se mettre en place, quelle forme de régulation sociale serait optimale. Prenez encore une fois les chauffeurs Uber, même si je ne souhaite pas stigmatiser cette entreprise. Que mettre en place pour qu’on puisse répartir la valeur ajoutée. Le risque existe à terme qu’on ait d’un côté des plateformes riches à milliards et des auto-entrepreneurs à 7,50 euros le jour.

 

Comment faire pour instaurer un dialogue social au sein de ces nouvelles organisations qui ne sont pas des entreprises qui emploient des salariés ? C’est une question clé.

 

On voit bien actuellement que le droit du travail craque et que la tentation est d’assouplir pour le CDI. Vous semblez indiquer que la marche à suivre doit être aussi d’apporter aux indépendants des formes de stabilité jusque-là réservé aux seuls salariés.

Oui, c’est ce qu’il faut inventer d’urgence. Pour que les auto-entrepreneurs ne se retrouvent pas dans un piège, il faut travailler sur trois dimensions : l’accès au crédit, l’accès à la formation et à des protections minimales en cas de maladies, d’accidents. Il sera difficile de continuer à vivre dans la fiction qu’ils sont complètement indépendants. Je voudrais insister sur un point : tout le monde à y gagner, les plateformes comme les auto-entrepreneurs.

 

Par ailleurs, il faudrait vérifier que chacun choisit vraiment son volume d’heures, qu’il n’est pas obligé par la plateforme d’accepter toutes les propositions. En outre, le statut d’auto entrepreneur devrait avoir une meilleure visibilité. Cela signifie qu’il faut arrêter de le modifier en permanence.

 

Enfin, il faut inventer un dialogue social entre les plateformes et les mirco-entrepreneurs. Dans notre droit, le dialogue social se fait entre employeurs et salariés. Il faut réussir à l’élargir, en l’absence de lien de subordination. La période est incertaine, mais c’est ce que je trouve passionnant, on peut agir pour que les choses penchent d’un côté plutôt que de l’autre.


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