Le numérique entraîne de nouvelles formes de salariat. Les syndicats sont-ils prêts ?

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Gaétan Supertino, journaliste chez Europe1, trace un tableau syndical interessant face à l'ubérisation. UNSA, SYNTEC, CGT, FO Cadres... Comment ils réagissent et ils se préparent à cette nouvelel forme de travail...

La France compte, depuis le 16 octobre, un nouveau syndicat : le SCP/VTC, où syndicat des chauffeurs privés et des voitures de tourisme avec chauffeur (VTC), rattaché à l'UNSA (Union nationale des syndicats autonomes). Ce petit nouveau est tout simplement un OVNI dans le paysage syndical français. Car c'est la première fois qu'une organisation de représentants de salariés, l'UNSA en l'occurrence, intègre dans ses rangs des représentants de travailleurs non-salariés. Pour beaucoup d'entre eux, les chauffeurs privés ou de VTC, sont des travailleurs indépendants, sans contrat de travail... mais dépendant d'un seul "donneur d'ordre", le fameux Uber par exemple. Ils sont à leur compte sans être véritablement patron, soumis au bon vouloir d'une seule entreprise.

La création du SCP/VTC reflète un problème grandissant dans une société qui s'offre de plus en plus au numérique : comment les syndicats peuvent-ils s'adapter à cette "ubérisation" du travail? Le numérique décuple les possibilités des entreprises en matière de relation avec leurs clients et leur main d'oeuvre. Elles sont désormais capables de vendre des services partout et tout le temps. Et cela bouleverse le monde du travail. Mais les syndicats sont-ils vraiment prêts ?

Qu'est-ce que "l'ubérisation" ?  Le terme "ubérisation" désigne une nouvelle forme d'économie, inspirée de la société "Uber". La société américaine propose une application qui permet de mettre en relation, en direct et 24h/24, les clients et des chauffeurs professionnels. Ces derniers ne sont pas salariés. Mais ils travaillent, dans les faits, en quasi-exclusivité avec Uber. Et lorsque ce dernier décide de revoir à la baisse ses prix ou de proposer des nouveaux services, cela se traduit par une baisse directe de revenu ou un bouleversement du quotidien pour ces chauffeurs. C'est arrivé récemment à ceux qui travaillent "pour" Uber à Paris. Et cela a donné naissance à ce nouveau syndicat SCP/VTC, dont le but est de défendre les intérêts de ces chauffeurs indépendants sans contrat, exclus du dialogue social.

SCP/VTC ne s'occupe que des chauffeurs privés, et il est bien seul dans le secteur. Or, "l'Ubérisation de la société" est en marche. Selon le rapport Mettling sur la "transformation numérique", remis récemment au gouvernement, un travailleur du numérique sur dix exerce son activité "hors du salariat". Une proportion qui augmente de près de 10% chaque année. L'une des formes les plus criantes de cette transformation est à l'œuvre chez les "turkers", tiré du nom "Amazon Mechanical Turk". Il s'agit là d'une plateforme mise sur pied par le géant de la distribution en ligne. Elle permet en quelques clics de mettre en relation Amazon et des webdesigners, des webmasters, des traducteurs ou des téléconseillers, qui facturent leur prestation à moindre coût. Très présente aux Etats-Unis, ces "turkers" commencent à arriver en France, comme le soulignait récemment Libération. En dehors de tout encadrement syndical.

Des nouvelles formes de syndicalisme se créent déjà… Cette question des travailleurs tenus à l'écart du dialogue social, conjuguée à toutes celles liées à la numérisation du travail (possibilité d'être connecté à toute heure, d'offrir des services 24h/24, multiplication des missions et des compétences…) pousse le syndicalisme à se réinventer. Aux Etats-Unis, l'association Freelancers Union se spécialise dans l'accompagnement de ces travailleurs indépendants 2.0. Forte de ces 225.000 membres, c'est le syndicat qui connaît la plus forte croissance. "De nouveaux collectifs numériques voient aussi le jour, tels Turkopticon et WeAreDynamo, qui regroupent les 'turkers'. Ils ont aussi créé des forums online, comme CloudMeBaby and TurkerNation, qui leurs permettent de peser davantage. Turkopticon permet par exemple aux utilisateurs de la plateforme d'Amazon de noter leurs employeurs anonymes, afin d'identifier les escrocs et les mauvais payeurs", décrypte le consultant spécialisé Martin Richer, dans un long article sur le site Metis.

… Mais elle restent timides en France. Ce type d'initiatives reste, pour l'heure, très isolé dans le monde et en encore plus en France. Il n'existe aucun syndicat de salariés propre au numérique. Et les organisations syndicales traditionnelles n'ont pas non plus de branche spécifique : elles laissent leurs branches "cadres" s'occuper de la question numérique.

"Les syndicats doivent s'uberiser à leur tour ! Ils doivent eux-aussi mettre en place des plateformes les plaçant en relation direct avec les travailleurs, et reliant les travailleurs entre eux", estime pour sa part Guy Mamou-Mani, président du Syntech, principal syndicat (patronal) du numérique en France. "Que les VTC se dotent d'un syndicat est une bonne chose. Mais ils avaient l'opportunité d'innover. Or, ils ont préféré créer un syndicat à l'ancienne", regrette Guy Mamou-Mani.

Les choses avancent, lentement. Pourtant, les choses semblent bouger. Et les syndicats français commencent à prendre conscience du sujet. "Le numérique met à plat toutes les formes classiques que l’on connaissait dans le monde du travail. Les personnes se connectent directement, de pair à pair. C’est une transformation de la relation à l’emploi. Des travaux de l’École des hautes études en sciences sociales parlent d’un travail bohémien", analyse ainsi Éric Pérès, secrétaire général de FO Cadres, dans une interview à Usine digitale, parlant du risque de voir émerger "des esclaves du monde numérique".

"Nous assistons à la création d'une nouvelle communauté de travail. Avec l'outil numérique, tout le monde peut travailler. Cela fait deux ans que nous réfléchissons vraiment sur ses questions", renchérit auprès d'Europe 1 Jean-Luc Molins, responsable de l'UGICT, la branche "cadres et nouvelles technologies" de la CGT. L'UGICT est d'ailleurs actuellement en train de tester "T3R1", une plateforme en ligne collaborative pour faire remonter la parole des travailleurs. Le but ? "Permettre des échanges entre nous, les travailleurs, y compris indépendants, et les donneurs d'ordre", explique Jean-Luc Molins. L'idée, à termes, étant de multiplier ce type de plateformes secteurs par secteurs.

La CFDT travaille également à mettre en place un réseau social pour "donner la possibilité d’accès aux adhérents en temps réel, et de créer des espaces collaboratifs réunissant les militants ayant les mêmes profils ou le même centre d’intérêt". Mais le risque est que le temps syndical ne soit pas en adéquation avec le temps de la "transformation numérique", qui s'écoule à toute vitesse. Éric Pérès, de FO Cadres, le reconnaît : "la réflexion n'en est qu'à ses débuts".


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Animé par la Fédération Nationale des auto-entrepreneurs (FNAE), cet observatoire a pour but d'analyser l'ubérisation, d'apporter un constat précis et de proposer des pistes de réflexion autour de la réforme du code du travail, du dialogue social, de l'évolution du Droit, de la protection des travailleurs affiliés aux plateformes...

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