Statut des travailleurs de plateformes dans l’UE : vers une sortie de l’impasse ?

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Après un an et demi de négociations souvent difficiles et un premier vote en février 2023, les 27 États membres de l’Union européenne ont enfin abouti à un accord... d'orientation générale.

Le 12 juin 2023, lors du Conseil "Emploi, politique sociale, santé et consommateurs", la proposition de directive autour du statut des travailleurs des plateformes a en effet passé une étape charnière : une majorité s'est dégagée pour valider une version amiable du texte.

Cet accord repose cependant davantage sur une volonté commune de débloquer la situation que sur un réel consensus de fond. Le cadre est validé, mais de nombreuses étapes attendent encore le texte, dont le contenu n’a pas fini d’évoluer... et vraisemblablement de susciter les débats. La directive pourra t-elle être promulguée en 2025 ? 

Un texte de compromis a été adopté

La présidence du Conseil de l'UE (suédoise depuis janvier 2023 et bientôt espagnole) a proposé un texte susceptible d’être accepté par les pays favorables à une meilleure protection des travailleurs (comme l'Espagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas), et les pays plus libéraux, attachés à une application assouplie de la présomption de salariat, telles la France et la Pologne

Lors de ce dernier Conseil, sur les 27 États membres, 22 pays (dont la France) ont approuvé ce texte d'orientation générale, tandis que cinq autres (l’Allemagne, la Grèce, l’Espagne, l’Estonie et la Lettonie) ont fait le choix de ne pas s’y opposer mais se sont abstenus.

3 critères sur 7 pour une présomption de salariat

Depuis décembre 2021, la proposition de directive du Parlement européen et du des travailleurs de plateformes était en discussion. Bien qu'elle ait été adoptée le 2 février 2023, la directive comportait encore des zones d’ombre, notamment la question controversée de la requalification des "faux indépendants" en salariés.

Selon la position générale adoptée le 12 juin par les ministres, les travailleurs des plateformes numériques seront requalifiés en salariés (au lieu d'être considérés comme des travailleurs indépendants) s'ils remplissent au moins trois des sept critères de subordination définis dans la directive

Les 7 critères

L’article 4 de la directive concerne la présomption légale de salariat : il stipule que “À moins que les États membres prévoient des dispositions plus favorables conformément à l'article 20, la relation entre une plateforme de travail numérique et une personne exécutant un travail en passant par cette plateforme est légalement présumée être une relation de travail lorsque la plateforme de travail numérique exerce un contrôle et une direction sur l'exécution du travail par ladite personne.”

Les critères permettant d’évaluer ce “contrôle” et cette “direction”: 

  • la plateforme de travail numérique détermine les plafonds du niveau de rémunération ; 
  • la plateforme de travail numérique exige de la personne exécutant un travail via une plateforme qu'elle respecte des règles spécifiques en matière d'apparence, de conduite à l'égard du destinataire du service ou d'exécution du travail ; 
  • la plateforme de travail numérique supervise l'exécution du travail, y compris par des moyens électroniques ; 
  • la plateforme de travail numérique restreint, notamment au moyen de sanctions, la liberté d'organiser son travail en limitant la latitude de choisir son horaire de travail ou ses périodes d'absence ; 
  • la plateforme de travail numérique restreint, notamment au moyen de sanctions, la liberté d'organiser son travail en limitant la latitude d'accepter ou de refuser des tâches ; 
  • la plateforme de travail numérique restreint, notamment au moyen de sanctions, la liberté d'organiser son travail en limitant la latitude de faire appel à des sous-traitants ou à des remplaçants ; 
  • la plateforme de travail numérique restreint la possibilité de se constituer une clientèle ou d'exécuter un travail pour un tiers.

La preuve de salariat

La démarche pour une présomption légale de salariat pourra être activée à la demande du travailleur lui-même ou d’une autorité du travail.

Dans les cas où la présomption légale de salariat s'appliquerait, il reviendra à la plateforme numérique de prouver que le travailleurs exerce véritablement en tant qu’indépendant. Les travailleurs indépendants n'auront donc pas à prouver eux-mêmes qu'ils sont en réalité des salariés de la plateforme.

La reclassification du travailleur permettrait à celui-ci de bénéficier automatiquement de nouveaux droits sociaux et salariaux.

Transparence dans la gestion des algorithmes

L’accord encadre et limite l’usage des algorithmes pour gérer des décisions concernant les travailleurs, en particulier les déconnexions. La directive prévoit que les prises de décision devront être contrôlées par un humain.

La question des dérogations 

Certains pays prônent une présomption légale sans restrictions ni dérogations… alors que d’autres tiennent à disposer de dérogations dans l’application des règles issues de la directive.

Position tranchée de la France

Même si la France a cette fois voté en faveur du nouveau texte, elle s’est élevée contre des réglementations trop strictes, qu’elle juge susceptibles de mettre fin à l'auto-entrepreneuriat et d’entraîner des requalifications massives potentiellement préjudiciables à ce secteur d’activité.

Selon le ministre français du travail, les plateformes respectant les règles nationales doivent pouvoir échapper à la règle des critères de requalification.

Si le texte adopté le 12 juin ouvre la porte à des dérogations pour les Etats dans l’application de la présomption de salariat, cette question est encore loin d’être tranchée…

La suite du parcours 

Cet accord d'orientation générale permet cependant à la proposition de directive de poursuivre son long chemin législatif. 

Place aux trilogues

La directive va entrer dans la phase des négociations interinstitutionnelles (les trilogues). Le Parlement, le Conseil et la Commission devront se positionner et élaborer un texte définitif applicable au sein de l'Union européenne. Prochaine étape le 11 juillet, où le trilogue débutera l’étude du texte.

L’objectif (optimiste) : une adoption avant les élections européennes de juin 2024 et une entrée en vigueur en 2025

Le texte de la directive peut donc encore évoluer… voire se transformer. En particulier entre les mains du Parlement, plus ambitieux en matière de protection des travailleurs.C'est pourquoi certains pays, dont la France, ont exprimé des réserves quant à leur adhésion au texte qui sortira des négociations.

Et à terme : l’application par les pays membres

Lorsque la directive aura trouvé sa forme définitive, les États membres auront de 2 à 4 ans pour la transposer dans leur législation nationale

La route est encore longue et la sortie encore incertaine…