L’Union européenne ouvre la voie à la requalification en salariés des travailleurs de plateformes 

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Dans l’Union européenne, environ 500 plateformes font appel à 28 millions de travailleurs (43 millions d’ici 2025 d’après la Commission européenne). 

Le statut précaire d’une grande partie des travailleurs de plateformes, plus exactement les 5,5 millions d’entre eux qui sont qualifiés d’indépendants alors qu’ils ne bénéficient pas des conditions de travail et des droits sociaux inhérents à ce statut, a conduit le parlement européen à se saisir de leur sort.

Le 2 février 2023, les députés européens ont voté un texte qui vise à requalifier en salariés ces travailleurs des plateformes (en particulier les livreurs et chauffeurs VTC) et harmoniser la réglementation dans les 27 pays membres. 

Un grand pas… qui n’est cependant qu’une étape, sur un chemin semé d’embûches.

Objectif : améliorer les conditions de travail

C’est le 9 décembre 2021 que leParlement européen et le Conseil ont proposé une directive « relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme ». Si tous les Etats membres s’accordent sur cet objectif, le choix des leviers à actionner crée de fortes divisions. Préserver à la fois l’économie des plateformes et les droits des travailleurs semble relever d’un travail d’équilibriste !

La présomption de salariat au cœur du texte

La proposition phare de ce texte : requalifier en salariés (et non plus en indépendants) les 5,5 millions travailleurs de plateformes « victimes d’une erreur de qualification de leur statut professionnel » qui les empêche de « jouir des droits et protections auxquels [ils] ont droit en tant que travailleurs » (salaire minimum, règlements sur le temps de travail, sécurité et santé au travail, congés payés, protection sociale contre les accidents du travail, chômage, maladie et vieillesse, etc.).

La question des algorithmes

Le texte pointe aussi l’encadrement de la gestion du travail par les algorithmes des plateformes. Il préconise plus de transparence et envisage de « garantir une surveillance humaine de l’incidence de ces systèmes automatisés sur les conditions de travail, de façon à protéger les droits fondamentaux des travailleurs ainsi que la santé et la sécurité au travail… également la mise en place de canaux appropriés pour discuter et demander un examen de ces décisions. »

Le feuilleton des critères

La proposition initiale de la Commission, pour établir la présomption de salariat, était de s’appuyer sur la présence de 2 critères dans une liste de 5 : 

  • fixer le niveau de rémunération ;
  • contrôler l’exécution du travail à distance ;
  • limiter la liberté de choisir les horaires de travail ou les absences, d’accepter ou de refuser des tâches ;
  • fixer des règles contraignantes en matière d’apparence, de conduite à l’égard du destinataire du service ou d’exécution du travail ;
  • limiter la possibilité du travailleur de se constituer lui-même une clientèle ou d’exécuter un travail pour un tiers.

Ces critères ont ensuite été supprimés par le Parlement : la relation de salariat entre les plateformes (Uber, Deliveroo, etc.) et les travailleurs devenant alors présumée sans condition. Il incombait donc aux plateformes de prouver qu’un travailleur présumé salarié était indépendant.

Avec la présidence du Conseil de l’UE assurée depuis le 1er janvier 2023 par la Suède, le débat est relancé, en particulier autour des critères de déclenchement de la présomption, véritable clé de voûte du système.

Un vote historique… mais un texte non définitif

Le vote du 2 février 2023

Jeudi 2 février 2023, avec 376 voix pour (dont les voix françaises), 212 contre et 15 abstentions, le texte destiné à renforcer les droits et la protection sociale de cette population de travailleurs des plateformes a finalement été adopté. 

Ce texte va continuer à évoluer au fil des procédures de négociations entre les pays membres. Ainsi, le 13 février, un groupe de travail constitué d’experts de tous les États membres s’est attelé à étudier les fondements de la directive sur les travailleurs, en particulier les critères de déclenchement de la présomption légale de salariat et son applicabilité.

D’après Euractiv (réseau de médias paneuropéens indépendants), face aux divergences importantes entre les membres, c’est l’Allemagne qui pourrait peser dans le vote final de manière décisive… Pour l’heure, divisée en son sein entre les sociaux-démocrates et les libéraux, elle a en effet choisi de s’abstenir. Les eurodéputés pourraient prendre plusieurs mois avant de s’accorder sur une position commune.

Quel chemin encore à parcourir ?

La suite se jouera dans des négociations entre les institutions, baptisées trilogues, impliquant le Parlement, le Conseil et la Commission. Les accords obtenus seront cependant encore provisoires et devront être approuvés par chacune des institutions. 

Au bout du chemin devrait émerger une directive… que les Etats membres auront 2 ans pour intégrer dans leur propre droit national, au plan législatif, administratif et réglementaire. 

La France face au texte européen : la position du « oui mais »

La France a semblé dès le départ freiner sur le projet, particulièrement la présomption de salariat, faisant pression sur la Commission européenne pour le retrait de cet article et donnant corps à des soupçons de connivence avec les plateformes. 

Le Sénat a émis le 22 novembre 2022 une résolution autour du texte européen. Tout en s’inscrivant dans cette logique de protection des travailleurs de plateformes à l’échelle européenne, il préconise « d’ajouter un article dans la directive afin de reconnaître plus clairement la faculté des autorités nationales compétentes à ne pas appliquer la présomption », évoquant des situations où la relation contractuelle ne relèverait pas du salariat selon les critères nationaux.

Après la Suède, le Conseil de l’Union passera au 2e semestre 2023 sous la présidence de l’Espagne, pays plutôt très favorable au texte d’origine et aux critères définissant la présomption de salariat…