Où vivent les travailleurs de plateformes?

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Le Compas, Centre d’observation et de mesure des politiques d’action sociale qui se définit comme un bureau d’études au service des territoires, a publié le 24 novembre 2022 les résultats d’un travail d’analyse sur l’origine géographique des travailleurs et travailleuses des plateformes, au titre révélateur : L'Ubérisation des quartiers populaires

Cette étude menée sur l’ensemble du territoire national pointe la surreprésentation de ces indépendants, généralement sous le régime de la microentreprise (bien qu’avec un lien de subordination et une moindre protection sociale), dans les quartiers prioritaires des agglomérations.

Les chiffres clés

Au 1er janvier 2022 étaient recensés 230 000 travailleurs des plateformes numériques en activité en France, dont : 

  • 179 200 livreurs à deux roues (catégorie Autres activités de poste et de courrier) ;
  • 52 700 chauffeurs en VTC (voiture de transport avec chauffeur). 

Une très forte croissante du secteur

Ces emplois de livreurs et chauffeurs ont explosé depuis janvier 2019, en particulier en 2020 et 2021, avec un recul de 28,7 % de l’activité de Poste et courrier (où se concentrent les livreurs) à fin juin 2022.

Entre 2019 et 2022, le nombre de livreurs a été multiplié par plus de 5 (de 35 000 à 180 000 entre janvier 2019 et juin 2022), tandis que le nombre de chauffeurs est passé de 33 000 à 53 000 soit une hausse de 1,6 point.

Une forte croissance côté livreurs vraisemblablement liée à l’explosion des demandes de livraisons pendant la période Covid. Une étude de l’Institut Nielsen citée par le Compas donne d’ailleurs un nombre de repas livrés entre 2019 et 2020 en hausse de 40 %.

Mais les plus bas revenus !

À noter que dans les statistiques de l’Insee publiés début 2023 pour 2022, cette catégorie d’autoentrepreneurs répertoriée dans les «Autres activités de Poste et courrier» est celle qui détient le record du plus bas salaire trimestriel moyen avec 1 282 euros en moyenne par trimestre (soit à peine plus de 427 € par mois). 

Une note de l’Insee chiffre par ailleurs à 60 % en 2020 l’augmentation du nombre de microentrepreneurs dans ces «Autres activités de poste et de courrier» (en majorité des livreurs à deux roues).

La géographie sociale des travailleurs

À noter que les études ne prennent pas en compte les migrants sans-papiers qui sous-louent des licences car ils sont dans l’impossibilité d’ouvrir leur propre compte.

Une forte proportion en quartiers prioritaires

  • 5 fois plus de livreurs vivent dans les quartiers dits prioritaires des villes que l’ensemble des autres travailleurs, soit 1 livreur sur 4, avec une augmentation de 6,3 % en 3 ans ;
  • 4 fois plus dechauffeurs vivent dans un quartier prioritaire que l’ensemble des travailleurs.

Quartiers prioritaires : les caractéristiques

Les quartiers prioritaires de la ville (QPV) où se concentrent les travailleurs de plateformes sont majoritairement situés dans les grandes métropoles mais aussi les EPCI de taille moyenne (Établissements publics de coopération intercommunale, en clair, des regroupements de communes). Ces quartiers se caractérisent par une certaine fragilité au plan économique.

Pour les livreurs

Les quartiers où la présence de livreurs parmi les travailleurs est la plus forte sont marqués par : 

  1. une part élevée d’immigrés ;
  2. un taux de pauvreté élevé ;
  3. un fort taux de chômage ;
  4. peu de ménages disposent d’une voiture ;
  5. une forte présence de cadres dans l’EPCI (susceptible de commander des livraisons);
  6. de nombreux jeunes (18-24 ans et 25 - 39 ans) dans l’EPCI.

Pour les chauffeurs

Du côté des chauffeurs, les caractéristiques des quartiers sont très proches même si leur importance relative diffère légèrement : 

  1. un EPCI très peuplé ;
  2. une part élevée d’immigrés ;
  3. une part élevée de ménages disposant d’une voiture ; 
  4. un EPCI avec de nombreux cadres ;
  5. un taux de pauvreté élevé.

Travailleurs de plateforme et déclassement 

Les travailleurs de plateforme habitent dans les quartiers où le phénomène de déclassement professionnel (emploi en inadéquation avec le niveau de diplôme) est le plus prononcé, en particulier pour les immigrés. Une situation qui participe à expliquer que les travailleurs se détournent du salariat et travaillent à leur compte via les plateformes, en dépit d’une moindre protection sociale.

Le visage des travailleurs de plateformes

Les chiffres issus de l'étude dressent un portrait type du travailleur de plateforme :

  • jeune ;
  • étranger (40 %) ;
  • en situation professionnelle précaire ;
  • 92 % sont des hommes (enquête Ipsos menée pour Uber Eats entre 2019 et 2020) ;
  • 54 % ont 25 ans ou moins (enquête Ipsos pour Uber Eats entre 2019 et 2020), ce qui représente d’après les calculs du Compas plus de 1 livreur sur 5 qui a 25 ans ou moins de 25 ans.

Au-delà d’une soi-disant liberté dans l’organisation de leur rythme de travail comme l’avancent les plateformes, les travailleurs de ce secteur pourraient surtout être attirés par l’absence de barrières discriminatoires à l’embauche, une plus grande accessibilité pour les immigrés.

Fidèle à ses motivations premières, le Compas conclut sur la question de la réponse publique à apporter pour accompagner ces travailleurs. Et cite, en particulier, la création de coopératives alternatives aux plateformes.